Être féministe : qu’est-ce que cela signifie ?

Être féministe : qu’est-ce que cela signifie ?

Au milieu du XXème siècle, les femmes n’avaient pas le droit de vote, elles n’avaient pas le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur conjoint, elles n’avaient pas le droit de disposer librement de leur corps… Si aujourd’hui, tous ces droits sont acquis, c’est grâce aux combats des mouvements féministes. Et pourtant, même si la plupart des femmes et des hommes adhèrent aux valeurs égalitaires des mouvements féministes, elles et ils refusent de s’identifier en tant que féministes. Pourquoi ?
Certain.e.s sont convaincu.e.s que l’égalité entre les femmes et les hommes est atteinte. Sur certains forums, des femmes déclarent ne pas avoir besoin du féminisme parce que, par exemple, elles ne veulent pas défendre les droits des femmes au détriment de ceux des hommes… Les mouvements féministes ont-ils encore du sens ? Dans tous les cas, comme l’attestent les études de l’Institut belge pour l’Égalité des Femmes et des Hommes (IEFH, 2011), les inégalités entre les femmes et les hommes sont toujours bien présentes et touchent tous les domaines de la vie. La lutte pour l’égalité a donc encore un sens. Pourquoi est-il donc si difficile de se définir comme féministe ? Certaines études, réalisées outre-Atlantique, ont tenté de répondre à la question. L’étude récente de Swirsky et Angelone (2014) propose quatre explications possibles. La première raison pour laquelle les femmes et les hommes ne s’identifient pas facilement aux féministes est que les stéréotypes envers les féministes sont assez négatifs. En effet, les féministes sont perçu.e.s comme des personnes extrémistes, qui détruisent le fondement de la société, qui soutiennent une société androgyne et qui veulent la suprématie des femmes et pas l’égalité. En réalité, la perception des féministes est plutôt ambivalente car elles sont également perçues comme indépendantes, responsables et intelligentes (Moradi, Martin, & Brewster, 2012). La seconde raison serait la tendance à dichotomiser : il n’existerait que deux catégories de personnes : les féministes et les non-féministes. Nous avons tous et toutes en tête l’image de « la féministe type » et nous trouvons des divergences entre elle et nous. Par exemple, « Je ne suis pas féministe car « la féministe » est opposée au mariage et moi, je voudrais me marier et avoir des enfants» ; « Je ne suis pas féministe parce que « la féministe » milite jours et nuits et je n’ai jamais participé à une manifestation » ; « Je ne suis pas féministe car « la féministe » est une femme et moi, je suis un homme »… Les exemples sont nombreux et ces divergences rendent difficiles l’identification en tant que féministe. La troisième raison est la croyance que l’égalité est déjà atteinte et que le féminisme n’est donc pas nécessaire, les femmes qui se sentent discriminées doivent se battre de manière individuelle. Enfin, la dernière raison évoquée est la non-connaissance de ce qu’est le féminisme, ce qui rejoint en partie la seconde raison. À travers une analyse qualitative réalisée sur des femmes, les auteurs suggèrent que les femmes ne s’identifient pas comme féministes car le féminisme est perçu comme un mouvement obsolète connoté négativement. Cependant, si toutes ces raisons expliquent la difficulté des femmes et des hommes de s’identifier comme féministes, la seconde raison est, selon moi, celle qui explique le mieux les raisons pour lesquelles les femmes et les hommes qui adhèrent aux valeurs du féminisme, ne se proclament pas féministes. Alors, si vous adhérez aux valeurs féministes et que vous pensez qu’il faut se battre pour l’émancipation des femmes et l’extension de leurs droits en vue d’égaliser leur statut avec celui des hommes que ce soit dans les domaines juridique, politique ou économique, n’hésitez pas à dire « Je suis féministe » que vous soyez un homme, une femme, que vous vouliez ou pas des enfants, quelles que soient vos préférences sexuelles, vos identités culturelles et vos autres particularités…
Rédigé par Patricia Mélotte, doctorante au sein du centre de recherche en psychologie sociale et interculturelle, travaillant sur les réactions des femmes face au sexisme. 

Être féministe : les hommes concernés ?

Il peut paraître délicat pour un homme de se revendiquer féministe tant la croyance est répandue que ces deux termes s’opposent, ou que l’adjectif féministe devrait être réservé exclusivement aux femmes. Pourtant le but des féministes n’est pas de combattre les hommes, mais d’abroger le patriarcat. Dans le Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie (Bonte & Izard, 1991), les auteurs proposent une définition du patriarcat comme désignant « une forme d’organisation sociale et juridique fondée sur la détention de l’autorité par les hommes ». En ce sens, il apparaît qu’homme et féminisme ne sont pas antinomiques. Si se revendiquer humaniste, c’est affirmer la dignité et la valeur de tous les individus, alors c’est également par extension être féministe. Enfin, s’engager pour l’égalité des droits c’est également lutter contre les stéréotypes qui peuvent toucher tout.e un.e chacun.e. C’est prendre conscience que la société exerce des pressions suscitant à la fois une domination des femmes et une domination des hommes. Prendre conscience de l’importance de se revendiquer féministe c’est militer pour s’affranchir de ses codes oppressants. Le réalisateur Patric Jean évoque l’idée que se revendiquer féministe c’est aussi permettre un travail intrinsèque : « s’améliorer soi-même pour améliorer le monde ». Il explique par ailleurs que pour lui « Les féministes font un travail d’émancipation, d’empowerment. Pour nous les hommes pro-féministes, c’est plutôt un travail de “désempowerment”. Un travail sur nous-mêmes, pour tenter de comprendre comment fonctionne la domination ».
Rédigé par Aurélien Vidal, stagiaire au centre de recherche en psychologie sociale et interculturelle. 
Références :
Bonte, P., & Izard, M. (Eds.). (1991). Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie. Presses universitaires de France.
Moradi, B., Martin, A., & Brewster, M. E. (2012). Disarming the Threat to Feminist Identification An Application of Personal Construct Theory to Measurement and Intervention. Psychology of Women Quarterly, 36(2), 197-209.
Swirsky, J. M., & Angelone, D. J. (2014). Femi-nazis and bra burning crazies: A qualitative evaluation of contemporary beliefs about feminism. Current Psychology, 33(3), 229-245.

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