Cet épisode réalisé par Cannelle Garnier, vous est conté par Sarah Leveaux. 

 

L’épisode d’aujourd’hui est l’occasion de s’arrêter un moment sur un système essentiel et complexe, du fonctionnement humain : la mémoire. Quand on dit « la mémoire », nous pensons à une sorte de disque dur dans lequel seraient stockés les souvenirs de notre passé. Nous allons voir dans cet épisode qu’il n’y a en fait pas « une » mais bien « des » mémoires qui jouent chacune un rôle dans notre vie quotidienne.

Mettons fin au suspense dès à présent : il existe aujourd’hui un consensus entre les chercheuses et chercheurs en psychologie cognitive pour dénombrer 5 différents types de mémoires dans le fonctionnement cognitif humain. Rappelons que le terme « cognitif » fait référence aux processus mentaux qui se rapportent à l’acquisition des connaissances.

Notre passé : il est stocké par quelles mémoires ?

Les trois premiers types de mémoires que nous allons présenter stockent les informations de notre passé, mais sous trois formes différentes et avec trois objectifs différents.

Tout d’abord, la plus connue, est la mémoire dite « épisodique ». Elle correspond à ce qu’on appelle communément les « souvenirs ». Par exemple, ce sera le souvenir de votre anniversaire de vos 12 ans, l’année où vous avez fait tomber le gâteau par terre. La mémoire épisodique va permettre de mobiliser les images des gens qui étaient là, la joie que vous ressentiez, mais aussi la gêne du malencontreux événement, ou encore le goût du gâteau au chocolat que vous avez tout de même goûté. La mémoire épisodique c’est donc le stockage des événements du quotidien qui nous sont arrivés personnellement, au cours de notre vie. Les souvenirs en mémoire épisodique correspondent à notre vécu personnel. Ils sont donc riches en sensations, en émotions, en indications sur le contexte dans lequel ils ont eu lieu, etc. 

Cette mémoire commence à stocker des informations à partir de l’âge de 3 ans environ, et continue ainsi tout au long de notre vie. Vous aurez sûrement remarqué qu’il vous arrive de vous souvenir d’événements à priori insignifiants, ou que certains souvenirs que vous aviez « perdu » reviennent soudainement. Pour comprendre cela il faut faire un point sur le mécanisme commun à toutes les mémoires, avec le trio : encodage, stockage et récupération. Si on reprend l’exemple de votre anniversaire : lorsque vous l’avez vécu, à 12 ans, vous avez encodé l’événement, c’est-à-dire : vous avez regardé autour de vous, écouté, ressenti, etc. Et toutes ces informations ont été réceptionnées par votre mémoire. Ensuite, vous avez stocké ces informations et les avez en quelques sortes gravé dans votre mémoire pour qu’elles ne s’évaporent pas. Parfois, nous encodons mais nous ne stockons pas, c’est typiquement la situation où l’on vous dit quelque chose, puis une heure plus tard vous l’avez oublié. Enfin, lorsqu’aujourd’hui, vous faites appel au souvenir de votre anniversaire, vous exécutez la troisième action de la mémoire : la récupération. La récupération peut aussi être capricieuse ; parfois, le souvenir est bel et bien stocké mais « il ne revient pas » au moment où vous essayez de le récupérer. Et parfois, deux jours plus tard « pouf », ça revient !

Mais au-delà de vos souvenirs personnels, vous avez mémorisé bien d’autres choses au cours de votre vie, et notamment toutes les notions qui composent le second type de mémoire : la mémoire « sémantique ». Elle correspond aux connaissances accumulées sur le monde. C’est un peu votre encyclopédie mentale. Elle est plus impersonnelle que la mémoire épisodique. Par exemple, si je vous demande si Mozart est mort, vous pouvez vous « souvenir » que « oui », en allant chercher cette information dans votre mémoire sémantique. Vous le savez car vous savez qu’il a vécu au 18e siècle ou qu’il est mort en 1791. Mais cette information n’est pas associée à un contexte particulier : vous n’avez pas de souvenir ou de sensations associées à la mort de Mozart. Vous ne pouvez pas convoquer les sensations que vous avez ressenti à sa mort, car vous n’étiez pas là, vous n’avez pas vécu cette expérience directement. C’est cette différence qui permet de savoir que ce n’est pas un souvenir de votre mémoire épisodique, mais bien un souvenir de votre mémoire sémantique.

Finalement, les expériences passées ont également alimenté ce que l’on appelle la « mémoire procédurale » – le troisième type de mémoire. C’est la mémoire de nos procédures, soit de nos actions, comme la suite de mouvements à effectuer pour faire du vélo ou pour écrire. Contrairement aux mémoires épisodique et sémantique, la mémoire procédurale ne porte pas sur des souvenirs ni sur des connaissances. Elle est stockée sous la forme de simples chaînes de réponses (c’est-à-dire, des comportements, des réactions) face à un stimulus donné. Plus concrètement, la mémoire procédurale est notre stock de réactions prédéfinies face à des situations. Cela correspondra à des scripts moteurs comme, par exemple, l’enchaînement appris pour marcher, faire ses lacets, conduire, etc. Mais ce peut être également des scripts comportementaux comme le fait de faire la bise ou serrer la main de quelqu’un quand on le rencontre. Si nous n’avions pas appris et stockés ces scripts au fil de nos expériences, nous serions bien démunis face à toutes les situations simples du quotidien.

Le présent et le futur alors… on a des mémoires pour ça aussi ?

Dans l’instant présent, nous pouvons utiliser ce que l’on appelle la « mémoire à court terme ». La mémoire à court terme est un mécanisme qui permet de conserver et de manipuler mentalement une information, pendant quelques minutes, maximum. Elle repose sur deux mécanismes : d’abord, l’autorépétition (c’est-à-dire, le fait de répéter dans sa tête), pour conserver l’information que vous venez d’avoir – par exemple, deux chiffres qu’on vient de vous donner oralement (8 et 3) – ; puis, la mémoire de travail, qui vous permet de manipuler cette information – par exemple, faire une soustraction à partir des deux chiffres qu’on vient de vous donner (8-3 = 5 c’est exactement ça). On se représente souvent cette mémoire sous son aspect auditivo-verbal (à travers des mots ou phonèmes qu’on a entendus et qu’on se répète mentalement). Mais la mémoire à court terme dispose également d’un système visuo-spatial. Cela signifie que cette mémoire vous permet, par exemple, de garder en tête la disposition des objets placés sur le bureau de votre petite sœur afin de bien les remettre en place après que vous ayez fouillé dans ledit bureau. Cependant, l’autorépétition a ses limites, on considère qu’un adulte peut conserver en moyenne 7 éléments courts en mémoire à court terme par autorépétition.

Pour finir, il existe également une mémoire « du futur ». C’est ce qu’on appelle la « mémoire prospective ». La mémoire prospective nous sert tous les jours, c’est elle qui nous permet de mémoriser toutes les actions que nous devons exécuter dans un futur plus ou moins proche. La mémoire prospective repose sur deux éléments ; d’abord le contenu de l’intention qu’on veut réaliser, et ensuite l’indice prospectif, qui nous indique que le moment est venu de réaliser cette action. L’indice prospectif peut être un temps T, ou bien un événement défini. Par exemple, quand je décide que « demain à 16h, j’appellerai la dentiste », l’intention est d’appeler la dentiste et l’indice prospectif est l’horaire « 16h demain ». Si je décide que « quand je passerai devant le fleuriste en allant faire les courses, j’achèterai un bouquet pour mes parents », l’intention est d’acheter un bouquet, et l’indice prospectif est cette fois un événement, à savoir mon passage devant le fleuriste.

 Pour preuve de ces systèmes de mémoire co-existants, nous pouvons prendre l’exemple d’une patiente atteinte de la maladie d’Alzheimer. Alors qu’elle était difficilement capable de se remémorer ce qu’elle avait fait ces dernières années, elle restait tout de même capable de danser la valse comme une reine ! En effet, dans le cas de la maladie d’Alzheimer, les individus auront tendance à perdre leurs souvenirs épisodiques (liés à leurs vécus et leur vie quotidienne), mais à conserver longtemps leur mémoire procédurale. 

 

Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs, réalisée par Canelle Garnier (aussi sur ResearchGate), doctorante de l’Université de Nantes. Nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes fascinants ! 

 

Bibliographie

Baddeley, A. (1992). Working memory. Science, 255(5044), 556-559.

Lecouvey, G., Gonneaud, J., Eustache, F., & Desgranges, B. (2015). Les processus cognitifs de la mémoire prospective. Revue de neuropsychologie, 7(3), 199-206.

Nadel, L., & Hardt, O. (2011). Update on memory systems and processes. Neuropsychopharmacology, 36(1), 251-273.

Tulving, E. (1985). How many memory systems are there? American psychologist, 40(4), 385.

Tulving, E. (1995) Organisation of Memory: Quo Vadis? in: The Cognitive Neurosciences. Mass. MIT Press MS Gazzaniga, Cambridge, 839-847.