Image extraite du film James Bond, Diamonds are Forever (1971).
Depuis le 11 septembre 2001, l’expression “théorie du complot” est entrée dans le langage courant, et les croyances qu’elle désigne sont devenues un important sujet de recherche en psychologie sociale, comme dans les autres sciences humaines. Comment définit-on les théories du complot dans notre discipline ? Quelles connaissances celle-ci a-t-elle produites sur ce sujet complexe ? Quelle est l’origine de ces croyances, leurs conséquences sur le terrain psychologique et social ?
Pascal Wagner-Egger, professeur de psychologie sociale à l’université de Fribourg (Suisse), est notre interlocuteur pour ce sixième épisode de Milgram de Savoirs. Un podcast de psychologie sociale, mais pas que ! Au vu de la richesse du sujet, nous avons souhaité également aborder des questions qui sortent du cadre de la psychologie. Nous abordons, entre autre, les questions de la (non) validité de ces croyances, de ce qui les distingue des complots avérés dans l’histoire (comme le scandale du Watergate).
Définitions et noms mentionnés
Mouvement(s) sceptiques rationalistes. Cette appellation désigne des mouvements se revendiquant du scepticisme scientifique. On peut citer à titre d’exemples les “skeptics” aux USA, ou le mouvement zététique en France. Concrètement, ces mouvements font la promotion de la science et de la méthode scientifique (expérimentale lorsque c’est possible), et cherchent à l’appliquer à toute une variété de sujets, par exemple les phénomènes dits “paranormaux”, discours politiques, médecines alternatives… et les théories du complot.
Système 1 Système 2. II s’agit d’une thèse importante en sciences cognitives, portée par le psychologue Daniel Kahneman. Selon cet auteur, deux modes de pensée coexistent en nous: le premier, le système 1, fonctionne par raccourcis, approximations, appelés heuristiques de jugement. Le système 1 est rapide, efficace dans nombre de situations, mais nous amène assez systématiquement à commettre des erreurs. Le système 2 est celui de la pensée analytique, plus lent et coûteux en temps et en énergie, il consiste en l’inhibition des raccourcis mentaux du système 1 pour s’engager dans une réflexion fine et exhaustive des données du problème.
Michael Shermer est un écrivain et historien des sciences, professeur adjoint à la Chapman University (Californie), ainsi qu’une figure centrale du mouvement sceptique américain, fondateur de The Skeptics Society et éditeur chef de la revue Skeptic produite par l’association.
James Alcock est également une figure importante du mouvement sceptique. Professeur de psychologie à l’université de York (Canada), il est notamment connu pour sa critique de la recherche en parapsychologie (c’est à dire, l’étude supposément scientifique de phénomènes tels que la transmission de pensée, la précognition, …).
Sebastian Dieguez est un chercheur en neurosciences cognitives à l’université de Fribourg. Il travaille, entre autres, sur la formation des croyances, la conscience proprioceptive, et les croyances conspirationnistes. Il est également auteur d’un livre, Total Bullshit ! (PUF, 2018), qui constitue une revue de littérature problématisée sur le bullshit, ou “baratin” en Français. Oui, le bullshit est un vrai sujet de recherche.
Références
Un ouvrage en Français court et accessible qui fait le point sur la recherche en psychologie sur les théories du complot.
Lantian, A. (2018). Croyez-vous aux théories du complot ? Grenoble : PUG.
Article de référence qui développe la notion de “donnée errante”:
Keeley, B. L. (1999). Of conspiracy theories. Journal of Philosophy, 96, 109-126. doi: 10.2139/ssrn.1084585
Contribution de deux philosophes, Matthew Dentith and Lee Basham, en “défense” des théories du complot :
Basham, Lee and Matthew R. X. Dentith “Social Science’s Conspiracy-Theory Panic: Now They Want to Cure Everyone.” Social Epistemology Review and Reply Collective 5, no. 10 (2016): 12-19.
La contribution de Pascal Wagner-Egger et collègues sur la question de l’irrationalité des théories du complot :
Wagner-Egger, Pascal; Gérald Bronner, Sylvain Delouvée, Sebastian Dieguez, Nicolas Gauvrit. “Why ‘Healthy Conspiracy Theories’ Are (Oxy)morons: Statistical, Epistemological, and Psychological Reasons in Favor of the (Ir)Rational View.” Social Epistemology Review and Reply Collective 8, no. 3 (2019): 50-67.
Le premier article publié en Français sur les théories du complot, mentionné dans le podcast:
Wagner-Egger, P., & Bangerter, A. (2007). La vérité est ailleurs: Corrélats de l’adhésion aux théories du complot. Revue Internationale de Psychologie Sociale, 20(4), 31–61.