“Il faut faire attention à ne pas “éducationnaliser” les problèmes sociaux, c’est-à-dire à croire que c’est par l’école qu’on va régler tous les problèmes de la société.”

Jean-Claude Croizet nous parle aujourd’hui des processus psychologiques et sociologiques derièrres les inégalités scolaires. Il est professeur à l’Université Clermont-Auvergne, où il travaille dans le Laboratoire de Psychologie Sociale et Cognitive.

 

Cet épisode passionnant contient pas mal de concepts spécifiques à la psychologie sociale, nous avons donc rassemblé des définitions et explications supplémentaires: 

 

Dans un approche qualitative de recherche, les chercheurs et chercheuses veulent explorer une thématique, le vécu et les témoignages des personnes concernés par une certaine problématique par exemple. Le but  de ce type de recherche est une sorte de “proof of concept” = démontrer qu’un tel phénomène existe, sans pour autant faire un jugement sur l’universalité du phénomène. Des outils typiques de la recherche qualitative sont les entretiens à questions ouverte, ou les participant·e·s peuvent librement formuler leurs réponses, ou encore l’observation, par exemple, d’un groupe d’élèves à l’école. 

Maintenant que les chercheurs savent que le phénomène existe, ils peuvent mener une étude quantitative focalisée sur la fréquence et les conditions exactes liées à l’observation du phénomène, par exemple par un questionnaire fermé, où un grand nombre de gens est demandé de répondre à des questions à choix multiples, distribué à tou.t.es les élèves dans plusieurs classes et écoles différentes. Le but est de savoir  si le phénomène était un cas individuel ou un exemple d’un phénomène répandu. 

Dans une approche quantitative expérimentale, on met en place un cadre d’étude qui permet de comparer deux situations qui diffèrent sur un seul point. Dans une école, par exemple, on fait un entrainement de lecture supplémentaire dans une classe, mais pas dans une autre, et on mesure le niveau de lecture à la fin de l’année. On peut reproduire l’intervention avec un grand nombre d’écoles et de classes afin d’être sûr que c’était bien l’intervention qui est responsable de la différence observée, et pas des différences présentes par hasard dans la situation.

C’est quoi la “cognition sociale pure et dure“? La cognition sociale est la discipline de la psychologie qui étudie les mécanismes psychologiques – ou plus précisément cognitifs en jargon psychologique – impliqués dans la perception et la connaissance d’autrui. 

Cette discipline recourt principalement à des expériences en laboratoire, où l’on invite les sujets à se former des impressions d’autrui.  On fait varier des aspects de la situation expérimentale, de façon à identifier les mécanismes impliqués dans cette perception. Dans une expérience sur la perception des émotions d’autrui, par exemple, on montre des photos de visage avec différentes expressions faciales en gardant d’autres facteurs (la taille du visage, le fond de l’image, le genre de la personne “cible”…) le plus similaire possible. La cognition sociale utilise principalement (voire exclusivement) une approche quantitative.

Pour en savoir plus sur la cognition sociale, le livre Connaître et juger autrui écrit par Yzerbyt et Schadron est une bonne source

La menace du stéréotype: ceci est un processus par lequel une personne obtient des performances en dessous de sa capacité réelle si on a attiré son attention sur le stéréotype selon lequel son groupe social n’est pas très performant dans ce domaine. L’exemple classique est la performance faible des filles en mathématiques. L’existence de la menace du stéréotype est controversée en psychologie sociale, car même des études méthodologiquement impeccable trouvent des résultats différents. Récemment, Flore et collègues (libre accès, Anglais) ont trouvé que ce n’est pas l’évocation du stéréotype qui diminue la performance, mais plutôt si la personne se sent en insécurité par rapport au sujet du test. En pratique, cependant, si principalement les membres d’un groupe stéréotypé (comme le stéréotype filles – mathes) montrent de l’anxiété par rapport aux tests de mathématiques, la situation reste problématique.

 l ‘idée de disqualification symbolique renvoie au concept de violence symbolique du sociologue Pierre e Bourdieu. Dans l’espace scolaire, il s’agit du fait que les savoirs et pratiques considérées comme légitimes sont issues des normes dominantes (un arbitraire culturel). Les enfants issus des classes dominantes incorporent ces normes pendant leur socialisation familiale/primaire (Bourdieu parle d’habitus), et développent donc des dispositions en accord avec l’environnement scolaire, à l’inverse d’enfants issus des classes défavorisées. Cette absence de maîtrise de codes implicites produit des situations de violence symbolique, notamment parce que les hiérarchies se reproduisent avec l’assentiment des dominés : puisque le caractère arbitraire et inégalement réparti des codes légitimes est occulté, l’échec à les incorporer est perçu comme une manifestation de la légitimité de la disqualification. Ainsi, selon Bourdieu et Passeron, l’école est un espace de reproduction puissant des inégalités sociales, d’autant plus puissant qu’il fonctionne comme “légitimateur” de cette reproduction. Merci à Louise Grillon pour cette définition ! 

On parle de la notion d’attribution causale en psychologie sociale quand on étudie comment les gens génèrent des jugements sur autrui et sur eux-même. Est-ce que Gontrand Bonheur a une personnalité “chanceuse” (attribution interne) ou est-ce que c’est le hasard qui fait qu’il a beaucoup de chance dans sa vie (attribution externe) ? Selon Harold Kelley, on utilise des heuristiques afin de décider si une observation (Gontrand Bonheur a eu de la chance) est attribué de façon externe ou interne: la consistance = est-ce qu’il a toujours de la chance: oui, le consensus = est-ce que d’autres canards ont aussi de la chance : non, Donald n’a jamais de la chance, la distinctivité = est-ce qu’il a toujours de la chance: oui. Dans ce cas, on arrive à une attribution interne: Gontrand Bonheur est lui-même “la cause” de son bonheur. Plus d’exemples ici.

Une étude scientifique a une bonne validité écologique si ce qu’on observe dans les circonstances de l’étude est similaire à ce qu’on peut observer dans la vie quotidienne. Il est difficile de mettre en place une étude ayant une validité écologique parfaite, car le simple fait de la présence des chercheurs peut influence le comportement. Très, très généralement, on peut dire qu’il y a une tension entre le contrôle que les chercheurs ont sur l’expérience et la validité écologique: plus on contrôle la situation expérimentale, moins c’est écologique. Ceci peut être reflété dans le type d’étude: Souvent, une étude quantitative est moins écologique qu’une étude qualitative. 

La théorie de la comparaison sociale a été développée par l’étudiant et doctorant de Kurt Lewin, Leon Festinger, en 1954. Il a postulé que les gens forment leurs évaluations d’eux-même, et par la suite de leurs aptitudes, en fonction de leur environnement social. La comparaison avec des personnes jugées comme supérieures à soi-même (on parle de comparaison ascendante) peut avoir un caractère dévalorisant si on ne trouve pas des points communs avec ces personnes, pendant que la comparaison avec des gens jugés inférieurs (la comparaison descendante) peut avoir un caractère valorisant. En même temps, les gens cherchent à garder le niveau de leurs pairs afin de garder leur appartenance à ce groupe social.

Jean-Claude Croizet

Les chercheurs et chercheuses évoqués pendant l’interview avec Jean-Claude Croizet :

Michael Young a un message précis* …., Désolé, Michael Young était un sociologue britannique, il a notamment inventé le terme “méritocratie” (lien en Anglais).

Kurt Lewin est considéré comme (un des) le fondateur (s)  de la psychologie sociale moderne.  

Hazel Rose Markus (vidéo en Anglais) et Shinobu Kitayama sont deux psychologues sociaux et leur article dans lequel ils proposent la théorie culturelle du soi (pdf en Anglais).

Jean-Claude Croizet a mentionné Glenn Adams et Nicole Stevens  qui utilisent des méthodes mixtes, donc qualitative et quantitative combinées. Si la thématique des inégalités vous intéresse, les articles de Prof. Stevens sont en format pdfs sur son site. Voici un exemple très intéressant (Pdf en Anglais).

Sébastien Goudeau est un ancien doctorant de Jean-Claude Croizet, maintenant à l’université Paris Descartes. 

Les travaux de Jean-Claude Croizet:  

Goudeau, S., & Croizet, J.-C. (2017). Hidden Advantages and Disadvantages of Social Class: How Classroom Settings Reproduce Social Inequality by Staging Unfair Comparison. Psychological Science, 28(2), 162–170. https://doi.org/10.1177/0956797616676600

Accès libre ici (avec un compte gratuit researchgate, em Anglais).

Une publication sur la même thématique en français: 

Goudeau, S., Autin, F., & Croizet, J.-C. (2017). Etudier, Mesurer et Manipuler la Classe Sociale en Psychologie Sociale: Approches Economiques, Symboliques et Culturelles [Studying, Measuring and Manipulating Social Class in Social Psychology: Economic, Symbolic and Cultural Approaches]. International Review of Social Psychology, 30(1), 1–19. DOI: http://doi.org/10.5334/irsp.52 

Son livre Mauvaises Réputations, écrit avec Jacques-Phlippe Leyens.

Son livre rédigé avec Matthias Millet: L’école des incapables ? La maternelle, un apprentissage de la domination, Paris, La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », 2016.

Le monologue d’Otis **

 

*Julia découvre la culture francophone à travers de ses enfants

**…et aussi grâce à Milgram de savoirs